Nice-Matin avant sa mise en redressement judiciaire, l’UTA (Union des Transporteurs Aériens) avant sa fusion avec Air France … On ne peut pas véritablement compter sur la pérennité des plus célèbres sociétés anonymes à participation ouvrières (la ou les « SAPO ») afin d’en vanter les mérites et les différents avantages. Il n’en demeure pas moins que cette dernière garde un intérêt dans l’optique de la prise de responsabilité des salariés au sein des entreprises.

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En situation de guerre, dans le but de favoriser la participation des salariés aux bénéfices de l’entreprise, notamment aux fins d’améliorer le rapport entre capital et travail, une loi du 26 avril 1917 est venue réglementer la SAPO (articles L. 225-258 et suivants du Code de commerce). L’objectif du législateur était dès lors d’élever les ouvriers au rang d’associés afin de leur accorder donc une part dans le bénéfice, mais également de les associer dans une certaine mesure dans la direction de l’entreprise.

Sous quelle forme sociale peut se présenter une SAPO ?

La SAPO est donc une société anonyme. Elle ne peut prendre aucune autre forme sociale, et aucune transformation d’une société anonyme vers une autre forme sociale n’est possible. Toutes les dispositions impératives du droit des sociétés applicables aux sociétés anonymes s’appliquent donc à la SAPO.

La faculté d’opter pour le statut de SAPO est purement discrétionnaire : toute société anonyme qui n’est pas constituée en tant que SAPO peut effectuer ce choix en cours de vie sociale mais également choisir de se retransformer en société anonyme « normale ».

Quelle en est la véritable singularité ?

La véritable singularité de la SAPO réside en la dualité des titres qu’elle contient, et de la qualité des actionnaires étant habilités à détenir ces titres.

Il existe en effet deux types d’instruments différents (article L. 225-260 du Code de commerce) : (a) les actions de capital, lesquelles s’assimilent à des actions de capital de sociétés anonymes ordinaires et qui constituent le capital social de la SAPO et (b) les « actions de travail », qui ne correspondent à aucun apport en société au sens normal.

Ces « actions de travail » sont détenues exclusivement par les salariés de la SAPO, lesquels sont constitués en société commerciale coopérative de main d’oeuvre (la « Coopérative »). La Coopérative détient donc ces « actions de travail », qui sont des titres nominatifs (au nom de la Coopérative) et inaliénables tout au long de la durée de la SAPO.

Le rapport des « actions de travail » aux actions de capital est laissé au gré des fondateurs de la SAPO et ultérieurement au gré de l’assemblée générale extraordinaire. Si cette dernière veut bénéficier d’un certain nombre d’avantages fiscaux, ce rapport doit être d’au moins un quart. En pratique, les « actions de travail » ne représentent pas la majorité des titres de la SAPO, leur nombre demeurant toujours inférieur à celui des titulaires des actions de capital et de leurs représentants.

Ce rapport différencie notamment la SAPO d’une autre forme sociale favorable aux salariés, la coopérative ouvrière de production, dans laquelle au moins deux-tiers des mandats au sein du conseil d’administration étaient réservés aux ouvriers et employés, indifféremment de la portion de capital détenue. Cela avait cependant considérablement retardé le développement de ces coopératives, les investisseurs étant plus que réticents dès lors à s’engager dans une telle structure.

Lors de la constitution d’une SA en SAPO, les statuts de la SAPO doivent également prévoir la mise en réserve, jusqu’à la fin de l’année, des « actions de travail » attribuées à la Coopérative. A la fin du premier exercice, ces titres seront effectivement remis à la Coopérative.

Quelle est la structure de la Coopérative et quelle est son rôle dans le fonctionnement de la SAPO ?

La Coopérative comprend obligatoirement et exclusivement tous les salariés liés à l’entreprise depuis au moins un an et âgés de plus de 18 ans (article L. 225-261 du Code de commerce). Elle existe donc de plein droit à l’expiration du délai d’un an de l’embauche des premiers salariés. La perte de l’emploi par un salarié le prive de tous ses droits au sein de la Coopérative, sauf en cas de dissolution de cette dernière. Ses héritiers n’auront aucun droit en cas de décès.

Les statuts de la Coopérative prévoient son fonctionnement et règlent notamment la désignation du président.

Chaque membre de la Coopérative détient une voix au sein de l’assemblée des participants de la Coopérative (deux exceptions avec (a) l’attribution possible de plusieurs voix proportionnellement au salaire du participant et (b) la répartition des participants en plusieurs collèges). Le rôle essentiel de l’assemblée de la Coopérative est de désigner les délégués qui devront représenter cette dernière lors des assemblées générales de la SAPO et parmi lesquels seront choisis les administrateurs ouvriers.

Si les actionnaires de la SAPO ne peuvent pas participer au fonctionnement de la Coopérative, les salariés peuvent participer, par l’intermédiaire de leurs délégués élus au sein de l’assemblée de la Coopérative, au fonctionnement de la SAPO lors de son assemblée générale.

La participation des salariés à l’AG est cependant effectuée dans des circonstances très spécifiques. En effet, le nombre de voix dont disposent les représentants de la Coopérative est établi d’après le nombre de voix dont disposent les actionnaires de la SAPO, en respectant la proportion entre « actions de travail » et action de capital.

Ainsi, si les « actions de travail » correspondent à 40% des actions de capital, et que seule une moitié des actionnaires est présente en AG, le représentant de la Coopérative n’aura que 20% des voix au sein de cette assemblée.

Les salariés participent par ailleurs également au conseil d’administration, lequel comprend un ou plusieurs représentants de la Coopérative, lesquels sont nommés par l’AG de la SAPO parmi les représentants de la Coopérative en AG. Le nombre d’administrateurs est fixé en fonction du rapport entre « actions de travail » et actions de capital.

La participation aux bénéfices et au boni de liquidation

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Il doit être prévu dans les statuts de la SAPO qu’il sera prélevé sur les bénéfices, au profit des porteurs d’actions de capital, une somme correspondant à celle que produirait, à l’intérêt fixé, le capital versé. Une priorité est donc accordée aux actionnaires de la SAPO, s’expliquant par le fait que les « actions de capital » ne correspondent pas à la rétribution d’un véritable apport.

Les statuts peuvent également prévoir une répartition inégale du dividende entre les actions de capital et les « actions de travail », notamment quant à la fraction leur revenant dans le solde des bénéfices nets ou à l’ordre dans lequel les droits seront exercés, ce qui est cependant peu recommandé en pratique pour ne pas créer d’effet négatif auprès des salariés.

Au sein de la Coopérative, la répartition du dividende est ensuite libre et généralement réglée par les statuts. Le plus souvent, elle est proportionnelle au montant des salaires, ou au temps de travail ou bien à une combinaison entre salaires et ancienneté.

En cas de liquidation de la SAPO, pour tout cas applicable au droit des sociétés anonymes, la répartition du boni de liquidation, à l’instar des dividendes, donne une préférence aux titulaires d’actions de capital, dont l’investissement sera totalement amorti avant toute distribution au bénéfice des « actions de travail ».

La répartition du boni de liquidation restant entre les membres de la Coopérative est ensuite effectuée entre les participants et anciens participants comptant au moins dix ans de services consécutifs dans les établissements de la société, ou tout au moins une durée de services sans interruption égale à la moitié de la durée la société et ayant quitté la société pour l’une des raisons suivantes : (a) départ à la retraite volontaire ou d’office avec droit à pension, (b) maladie ou invalidité entraînant l’inaptitude à l’emploi précédemment occupé, (c) licenciement motivé par une suppression d’emploi ou (d) une compression de personnel. Les anciens participants ne figurent cependant à répartition que pour la durée de leurs services réduite d’un dixième de son montant total par année écoulée depuis la cessation de leur service.

Article co écrit par Laurent Faugérolas, Charles Cardon, Benhouda Derradji, Avocats au barreau de Paris, Dechert LLP

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